Les origines de la désinformation
François Géré est historien.
Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation
La désinformation est aussi ancienne que l’information. La ruse, l’hypocrisie et la tromperie affectent les relations sociales et internationales. Tous les chefs d’Etat ont assuré leur pouvoir sur leur capacité à capter et réserver à leur profit, souvent par le secret, la bonne information et à injecter chez l’ennemi, les rivaux, voire même les alliés la désinformation, sous toutes ses formes.
Louis XIV crée un « cabinet noir » chargé de la cryptologie, c’est-à-dire de décoder les messages diplomatiques secrètement interceptés mais aussi de fabriquer des faux. En cela il ne fait que systématiser une pratique dans laquelle son ancêtre Louis XI était passé maître. Espions, transfuges, traîtres et agents doubles circulent à travers toute l’histoire et dans toutes les civilisations. La différence ne se mesure qu’à l’importance que les gouvernements accordent à leur utilisation. De cela même, la désinformation tire parti lorsqu’elle tend à accréditer que certaines nations ont une propension perverse à la tromperie : « Timeo Danaos et dona ferentes » renvoie à la fourberie d’Ulysse, la « fides punica » permet à Rome de se draper dans la vertu de la parole donnée…., la « perfide Albion », la ruse, la tromperie des « orientaux… chinois, japonais, arabes…». Au fil du temps, le racisme et la xénophobie se nourrissent de ces mythes qu’ils contribuent à propager.
Ainsi va la désinformation, art du masque. En cela elle se distingue de la propagande et de la déception. La propagande -sauf lorsqu’elle est « noire »- affirme un point de vue, développe au grand jour une croyance idéologique politique ou religieuse. Elle vise à l’adhésion en gagnant les esprits à sa Cause. En remplaçant l’information par une propagande d’Etat les régimes totalitaires ont contribué à donner à ce terme un sens nettement péjoratif. Pour Joseph Goebbels toute information devait passer au travers de l’idéologie nazie. L’Union soviétique a fini par prétendre substituer le discours aux faits eux-mêmes, créant ainsi une perte quasi clinique de la réalité qui finit par précipiter sa perte. En ce sens les régimes totalitaires ont franchi un pas décisif : ils ont substitué la désinformation à l’information.
La désinformation, une arme de guerre
En temps de guerre, la désinformation prend le nom, d’origine britannique, de « déception ». Elle vise à tromper l’ennemi en lui faisant prendre « des vessies pour des lanternes ». Elle opère à tous les niveaux : du chef suprême des armées au simple soldat abusé par de faux signaux, de faux uniformes, des écrans de fumée. Au printemps 1944, les Britanniques réalisèrent une gigantesque campagne de désinformation (Bodyguard) visant à tromper Hitler et son entourage sur le lieu du débarquement. En 1990, durant la guerre contre l’Irak, les Etats-Unis multiplièrent les actions de ce type contre Saddam Hussein qu’ils présentèrent comme le chef de la « troisième armée du monde ». Enormité que gobèrent le public américain et l’opinion internationale.
L’information erronée est-elle la désinformation ? Non. Une erreur est par définition involontaire, en dépit des troubles qu’elle crée. La désinformation est d’une toute autre nature.
Elle repose sur une entreprise délibérée, organisée, planifiée visant à introduire la confusion dans les esprits, à égarer le jugement tout comme les passions et l’imagination. Elle n’a qu’un objectif : insinuer le soupçon, créer le trouble, déstabiliser psychologiquement. Elle agit à tous les niveaux, en les reliant, du décideur suprême au simple citoyen, en prenant aussi pour cible les média qui vont relayer le faux message vers l’« opinion publique ».
Morale et Politique :
« La mauvaise information chasse la bonne »
La mutation des moyens de communication annoncée vers 1970 a rarement été prise en compte au niveau des États, tandis que les entreprises ont été infiniment plus réactives parce qu’elles constituaient le moteur et le support de la mutation intellectuelle.
Bref tout change et les schémas traditionnels qui restent pertinents sont soumis à une sorte de loi darwinienne d’adaptation. La désinformation a compris tout le parti qu’il y avait à retirer de cette mutation.
Et la morale dans tout cela ?
Posons tout d’abord que les nouveaux vecteurs de la communication ne sont en soi ni bons, ni mauvais, tout comme le furent en leur temps le téléphone ou la photocopieuse. Seraient-ils à eux seuls cause de libération parce que, ouvrant la voie à la liberté, ils permettraient de franchir les barrières matérielles des dictatures ? Les insurrections arabes auraient été causées par les nouveaux vecteurs. C’est aller un peu vite. Un mouvement social tire parti des vecteurs mais ceux-ci ne peuvent créer le mouvement social. Twitter a favorisé la protestation de l’été 2009 en Iran mais n’a pu empêcher la répression efficace. Ces mêmes technologies donnent plus de souplesse et d’efficacité aux mouvements terroristes et aux guérillas. Un outil reste un outil pour le meilleur comme pour le pire !
Certes, les dictatures manifestent évidemment un rejet spontané de la circulation de l’information mais elles trouvent dans les vecteurs nouveaux des ressources nouvelles au service d’un instrument rénové de désinformation qui peut servir leurs objectifs. La transparence totale prônée par Wikileaks constitue un nouveau mythe. Big Brother avait créé la transparence totalitaire ! Le secret qui n’est pas la tromperie mais souvent une précaution conserve et son utilité et ses mérites. De son côté la désinformation pourra tirer parti de cette supposée transparence en injectant toujours plus de fausses nouvelles.
Du bien fondé de la désinformation
Quant aux démocraties médiatiques, on les trouve aujourd’hui plutôt désemparées, leurs gouvernements étant placés devant des défis considérables.
Il existe des principes : on ne saurait tromper son propre peuple. Mais si c’est pour son bien ?
Constatons à ce jour deux tendances. En premier une forte tentation à user de la désinformation : l’invasion de l’Irak en 2003 au prétexte de la menace d’armes de destruction massive restera comme un emblème qui durablement a discrédité les gouvernements anglo-saxons (Etats-Unis de Bush, Royaume-Uni de Blair). En second lieu, il est devenu courant de crier haut et fort à la désinformation dès lors que l’on est l’objet d’une critique ou que sont révélées de mauvaises pratiques de gouvernance. Dans les deux cas les producteurs d’information en appellent à l’opinion publique, corps improbable que l’on s’emploie à « sonder » à outrance afin de peser sur l’esprit des décideurs. Ainsi se sont créés et développés des cercles vicieux, des pratiques retorses qui fragilisent gravement la démocratie fondée sur la liberté d’expression et de circulation de l’information. Accablés par les déclarations de porte-paroles, les yeux dans les yeux, le « croyez-moi puisque je vous le dis » des présentateurs, le citoyen-spectateur saisi par le soupçon sombre dans une mécréance généralisée. A qui se fier ? Par là même, l’information véritable est a priori dévaluée des esprits tout comme le financier Gresham disait au XVIe siècle que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Monnaie et information ont un point commun : la confiance. Aussi l’ampleur du phénomène exige une refonte complète de la relation et de l’équilibre entre les pouvoirs.
Les médias nous transforment en mutants
On dira : mais quoi de neuf sous le soleil ? La lutte entre le savoir et l’ignorance, entre la vérité et le mensonge est éternelle. Les préjugés, les superstitions, les rumeurs subsisteront à travers les siècles à venir puisque précisément vous considérez qu’ils sont liés à la nature même du gouvernement de l’Etat. Cette objection eut été encore valable il y a environ quarante ans. Aujourd’hui, le problème change fondamentalement de nature parce que le monde, qu’il soit ou non devenu un village planétaire, est entré dans une ère nouvelle : l’âge de l’information dont, faute de recul nous commençons seulement à mesurer la dimension. Pour se repérer, on distinguera les procédés et les vecteurs utilisables par l’information et la désinformation.Les procédés de la désinformation ne varient guère. Répétition, amplification, assertion, changement quasi instantané, effet d’écrasement de toute voix divergente ou simplement interrogatives, rumeurs sans origine, « simples » suggestions, calomnies, fabrication clandestine et faux irrepérables. Toutefois, en fonction du vecteur utilisé, tel ou tel procédé donne un « rapport de couple » supérieur à un autre. Le téléphone, le télégraphe, le fax visent un destinataire. La ronéo et la photocopieuse entendent toucher, par diffusion, un grand nombre de récepteurs. La caractéristique remarquable des nouveaux vecteurs tient à leur capacité de diffusion indépendamment de tout circuit organisé.
L’importance de la vitesse
Internet est emblématique parce qu’il effectue le passage du spectateur passif (le « récepteur » de la radio ou de la télévision) au producteur-transmetteur actif de l’information. De plus, la vitesse de la transmission s’impose dans un temps désormais contracté. L’information-communication, c’est du temps donc de l’argent qui circule à toute allure, comme en bourse. La vérité, quand elle arrive, trop tard, n’a plus grand-chose à faire que présenter des correctifs, des regrets et des repentances devant les tombes.
Il faut aussi considérer les inflexions qui sont liées aux propriétés particulières des vecteurs utilisés et sans cesse créés dans l’ère de l’information. Nos comportements, nos relations interindividuelles, notre socialité, s’en trouvent modifiés (Facebook). Allons plus loin : le corps humain risque d’en être affecté et avec lui les rythmes biologiques et endocriniens liés au rapport au temps. Les nouveaux vecteurs apparaissent comme autant de prothèses de notre appareil sensoriel : les écouteurs bien sûr, l’usage des appareils multi-médias mais aussi les environnements sensoriels créés pour le public. Le médium pénètre l’homme.
BIEN AU CONTRAIRE !!! RÉVEILLER LE LOUP QUI EST EN VOUS !!!!
François Géré – Wikipédia
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